Le plastique fait partie intégrante de notre vie quotidienne. Pourquoi donc est-il issu de produits pétrochimiques nocifs tant pour nous que pour la planète et non de matériaux renouvelables ? Des alternatives crédibles existent-elles ? Et pourquoi pas le chanvre ?
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Rares sont ceux qui sous-estiment encore les dangers du réchauffement climatique. Encore plus rares sont ceux qui ignorent que des siècles seront nécessaires à la dégradation complète du plastique que notre société consomme quotidiennement. Pourtant, rien ne semble capable d'épancher notre soif de ce matériau dont on produit des quantités toujours plus importantes. Tel un virus se répandant inexorablement sur le monde, les déchets plastiques se multiplient, envahissant chaque recoin de notre planète, jusqu'à notre propre organisme qu'il pénètre via notre chaine alimentaire, compromettant notre santé et celle de nos enfants. Dans ce contexte, la réduction de la quantité de nos déchets plastiques n'est pas une option. C'est une nécessité absolue dont dépend l'avenir-même de l'humanité.
Les fulgurants progrès technologiques des dernières décennies et les changements législatifs nés d'une large prise de conscience de l'importance des enjeux environnementaux ont heureusement ouvert la voie au développement de nouveaux polymères écologiques enfin indépendants du pétrole. Ces bioplastiques recyclables et respectueux de l'environnement sont, pour la plupart, issus des produits de l'agriculture.
L'un de ces derniers, le chanvre, connait une foultitude d'utilisations aussi diverses que variées. Il est donc étonnant qu'un matériau aussi polyvalent n'ait pas encore été sérieusement envisagé comme substitut du pétrole comme matière première du plastique.
Pourquoi le chanvre ?
Le chanvre est composé à plus de 65 % de cellulose. Cette haute teneur, mêlée à la rapidité de sa décomposition et à la quasi insignifiance de son impact environnemental, fait de lui un excellent candidat à la production de cellulose à grande échelle. Celle-ci permettrait la fabrication d'une grande diversité de bioplastiques biodégradables (tels le celluloïd, la cellophane ou la viscose) susceptibles d'avantageusement remplacer les plastiques issus de la pétrochimie.
Les plastiques de chanvre pourraient en outre contribuer à la réduction de l'effet de serre. En effet, au long de sa croissance, le chanvre absorbe du dioxyde de carbone (CO2) contenu dans l'atmosphère et lui substitue de l'oxygène. En l'absence de combustion de ce chanvre, le CO2 en demeure captif. La fabrication d'objets en chanvre permet donc d'éviter le relâchement de dioxyde de carbone dans l'atmosphère. Le phénomène est tel que, selon plusieurs études, la production de bioplastiques génèrerait près de 80 % de CO2 de moins que celle de plastiques conventionnels issus de la pétrochimie.
Le plastique exclusivement composé de chanvre demeure néanmoins assez rare. En revanche, cette plante sert déjà de composante à de nombreux plastiques composites largement utilisés de nos jours. La haute résistance et l'importante rigidité de ceux-ci leur ont conféré une place de choix dans la production d'éléments automobiles (cache-coffres de certains modèles de BMW, Mercedes ou Bugatti, par exemple), d'embarcations, de haut-parleurs, de médiators de guitares, de filaments destinés à l'impression 3D et de bien d'autres encore.
Le rêve d'Henry Ford
Mais le plastique de chanvre n'est en rien un matériau nouveau. Les premiers plastiques étaient en effet tous composés de matériaux organiques plutôt que synthétiques et la cellulose était alors l'élément central de l'industrie naissante du plastique.
Déjà en 1941, Henry Ford avait démontré tout le potentiel du plastique de chanvre lorsqu'il présenta au public une automobile à la carrosserie faite d'un plastique composite contenant 70 % de fibres de chanvre combinées à du papier et du sisal. Désireux d'en démontrer la robustesse, l'industriel se saisit d'un bâton et frappa sa création à plusieurs reprises sans parvenir à la marquer le moins du monde, tout en s'époumonant : « à quoi bon exploiter des forêts centenaires ou des mines millénaires si leur production rivalise à peine avec un produit de croissance annuelle comme le chanvre ? ».
Un an plus tard, en 1942, en plein Seconde Guerre mondiale, la propagande de guerre encouragea les agriculteurs nord-américains à développer la culture du chanvre dans un film de propagande intitulé Hemp for Victory. L'accent y était mis sur la polyvalence de ce matériau alors indispensable à la fabrication d'une quantité phénoménale d'objets, des cordes aux lances à incendie, en passant par les semelles des chaussures des GIs ou leurs parachutes.
La fin de la guerre marqua néanmoins un retour à la prohibition du chanvre et à l'arrêt des recherches qui lui étaient consacrées, alors justement que son industrie commençait tout juste à prendre son envol. Les fibres synthétiques (comme le nylon) et les lobbies pétrochimiques (comme DuPont) ont alors eu le champ libre pour prendre le contrôle de l'entièreté du marché des plastiques.
Les intérêts du plastique de chanvre
Biodégradabilité
Au contraire des plastiques conventionnels, le plastique de chanvre est entièrement biodégradable. Tandis qu'un plastique issu du pétrole mettra jusqu'à 1.000 ans à se dégrader, un plastique de chanvre se décomposera intégralement en 3 à 6 mois seulement. Qui plus est, ce dernier peut être indéfiniment recyclé, ce qui n'est pas le cas des plastiques traditionnels.
Non toxicité
Les plastiques issus de la pétrochimie contiennent une multitude de toxines nocives, tel le BPA (bisphénol A), un perturbateur endocrinien responsable de bien des maux (infertilité, troubles cardiaques, diabète, obésité pour ne citer qu'eux). Le plastique de chanvre ne contenant aucune de ces toxines, est, quant à lui, respectueux de la santé des hommes et de l'environnement.
Ressource renouvelable
Les réserves de pétrole s'amenuisent inexorablement. Dans quelques décennies, elles seront épuisées. Le chanvre, lui, est une ressource renouvelable. En outre, sa culture freine l'érosion des sols, réduit la contamination des napes phréatiques et des cours d'eau, absorbe certains métaux toxiques présents dans le sol – en diminuant d'autant la concentration dans notre environnement – et, enfin, peut avantageusement être utilisé dans le cadre de la rotation des cultures, une techniques agricole consistant à alterner les variétés cultivées sur un même espace pour éviter l'appauvrissement des sols et, par là même, améliorer les rendements.
Résistance, rigidité et légèreté
Le plastique de chanvre présente une résistance plus de trois fois supérieure à celle des plastiques conventionnels et une rigidité près de cinq fois plus importante. Ils sont donc plus durables et présentent moins de risques de rupture, ce qui en fait une alternative particulièrement sure et efficace aux plastiques conventionnels. Ils sont, en outre, bien plus légers, ce qui réduit encore leur impact carbone (notamment lors des transports).
Un plastique promis à un brillant avenir
Si la production de plastique de chanvre est possible et avantageuse, elle ne s'en heurte pas moins à un obstacle encore insurmontable : l'industrie pétrochimique a pris 80 ans d'avance sur celle du chanvre sur un marché du plastique dont elle domine aujourd'hui chaque maillon, notamment grâce à l'omniprésent polytéréphtalate d'éthylène ou PET. L'opposition des deux types de plastique ne concerne manifestement pas deux matériaux mais deux industries : alors que le plastique de chanvre est clairement le plus avantageux, il ne peut rivaliser, la chaine d'approvisionnement en pétrole à destination de l'industrie du plastique étant la plus sophistiquée – mais aussi la plus agressive – du monde.
Mais il y a de quoi rester positif. Après avoir submergé la planète sous des quantités incommensurables de plastique, nombre d'entreprises commencent à prendre conscience de l'ampleur des difficultés auxquelles nous devrons faire face si nous persistons dans l'inaction. Elles sont donc nombreuses les firmes qui investissent dans la recherche de substituts au plastique traditionnel. Et il y a fort à parier que la première qui proposera une alternative viable à base de fibres végétales empochera des millions. De grands groupes, tel Coca-Cola, ouvrent d'ailleurs la voie : après des expériences – infructueuses – avec des bouteilles 100 % végétales, la firme a tout de même lancé la commercialisation de bouteilles composées à 30 % de matière végétale. La route est encore longue mais nous avançons dans la bonne direction.
Les obstacles sont hélas encore nombreux sur le trajet menant à la production et à la commercialisation de plastiques propres. Aujourd'hui, alors que les prix des combustibles fossiles, boostés par des subsides étatiques à n'en plus finir, persistent au plus bas, le chanvre demeure un produit de luxe. Après de décennies de prohibition, les infrastructures nécessaires à la culture et la transformation de ce matériau en plastique accusent un immense retard qui en limite drastiquement la production.
Néanmoins, depuis 2018, sa culture est autorisée aux États-Unis, ce qui, en toute logique, devrait mener à une hausse de la production et, en conséquence, une baisse des prix. La technologie aussi devrait enregistrer d'importants progrès à mesure que les champs de chanvre recouvriront le pays de l'Oncle Sam. De nos jours, la majeure partie du chanvre étasunien est cultivé en vue de l'obtention de CBD, activité qui demeurera plus rentable que la production de plastique tant que les progrès industriels se feront attendre. Aujourd'hui, les agriculteurs n'utilisent donc pas les tiges du chanvre qu'ils produisent. Or, elles constituent la matière première du plastique de chanvre. Ces tiges disponibles en grande quantité seront donc mises à profit dès que la technologie aura fait des progrès. Or, un nombre croissant d'agriculteurs se lance justement dans l'aventure avec des variétés diverses à haute teneur en fibre. La transition polymère-chanvre n'en sera que plus facile et rapide, tant pour les producteurs que pour les consommateurs.
Il est urgent de développer des alternatives biodégradables aux plastiques à base de pétrole. On ne peut plus se permettre d'asphyxier la planète sous une couche toujours plus épaisse de plastiques nocifs à la décomposition si lente. Le chanvre, matière première ressurgie du passé, est une alternative crédible et sérieuse pour assurer l'avenir de notre planète.
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